Le jugement du 3 décembre dernier n’efface pas la douleur des victimes mais aurait dû permettre de tourner la page sur une étape judiciaire douloureuse. Malheureusement, le contenu du jugement, si nous le mettons en œuvre, aurait des conséquences néfastes sur l’exécution de nos missions de service public. Il provoquerait notamment la suppression de nombreux trains. C’est pourquoi, sur conseil de nos avocats et après une analyse approfondie de la situation, nous avons été contraints de prendre la difficile décision d’interjeter appel contre le jugement de Buizingen.
Notre objectif n'est nullement de nous soustraire à nos responsabilités, et encore moins de manquer de respect aux victimes de l’accident. Par cette procédure d'appel, nous souhaitons être jugés au regard du critère d’un gestionnaire d’infrastructure ferroviaire normalement prudent et diligent.
Nous précisons par ailleurs que le recours que nous sommes contraints d'introduire n’a aucune incidence sur l’indemnisation des victimes.
Le jugement du 3 décembre 2019
Pour les victimes, leurs familles et les cheminots du pays, la catastrophe ferroviaire du Buizingen restera l’un des jours les plus sombres qu’ils aient jamais connus. Presque 10 ans après, le Tribunal de Police de Bruxelles a rendu un jugement marquant ainsi une avancée dans la procédure judiciaire.
Après une analyse approfondie du jugement du 3 décembre dernier, nos avocats constatent que la motivation du jugement méconnaît le fonctionnement de notre réseau ferroviaire, ainsi que les obligations et les compétences de notre entreprise. L’acceptation de ce jugement fragilisera l’exercice de nos missions de service public pour nos clients et notre activité de gestionnaire d’infrastructure. Certains raisonnements impliquent des obligations irréalisables.
Nous n’avons malheureusement pas d’autre choix que d’interjeter appel.
Où se situent les points problématiques dans le jugement ?
Le croisement de trains
Le tribunal constate que nous avons bien mis en œuvre les recommandations formulées par la Commission spéciale parlementaire pour la sécurité du rail depuis l’accident, concernant la sécurité du réseau ferroviaire. Notre volonté constante est de renforcer cette sécurité.
Cependant, dans son jugement, le tribunal indique que « la décision de croiser les trains s’avéra être désastreuse : cette décision avait pour but de permettre de rattraper le retard de 10 minutes du train E1707. ».Le « choix de privilégier la fluidité au détriment de la sécurité est inacceptable. » « Dès lors que le croisement était accepté par INFRABEL, celle-ci aurait dû mettre lesdits aiguillages de protection pour anticiper une éventuelle et possible erreur humaine. »
Le respect de cette décision de justice impliquerait l’installation de systèmes d’aiguillages de protection sur 80% du réseau. Accepter de généraliser le système des aiguillages de protection implique de réorganiser le réseau et la circulation des trains, avec un impact conséquent sur les clients et la mobilité ferroviaire sur l’ensemble du territoire belge.
L’équipement des trains
Seuls des systèmes de freinage d’urgence (TBL1+) ou de contrôle permanent de la vitesse (ETCS), dont les déploiements sont en cours depuis 2008, limitent un risque lié aux dépassements de signaux ou aux croisements, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas.
Enfin, le Tribunal constate que « la balise TBL1+ près du signal HE.1 ne permettait pas le freinage automatique mais un contact radio GSM avec le conducteur. ». « La (SNCB) a tardé à généraliser la pose de TBL1+ dans le matériel roulant et (Infrabel) n’a jamais interrogé la première à ce sujet pour que le système TBL1+ sur les voies ait un effet »
Cette affirmation est erronée : la balise TBL1+ permettait bien le freinage automatique du train. Il s’agit de la fonction même des balises. La suite du raisonnement tenu par le tribunal laisse en outre entendre qu’Infrabel dispose de compétences pour vérifier l’équipement de chaque train circulant sur le réseau, ce qui n’est pas dans les compétences de l’entreprise.
Une décision difficile
Faire appel est pour nous une décision difficile. Nous sommes pleinement conscients de la douleur qu’implique la prolongation de la procédure judiciaire pour les victimes, leurs familles et tous ceux qui souffrent de ce tragique accident. Nous n’avons malheureusement pas d’autres choix.
Si nous n'interjetons pas appel de cette décision, le jugement prendra effet dès ce 2 janvier 2020 à 16h.
Nous avons mandaté nos avocats pour suivre toutes les pistes possibles, ils sont arrivés à la conclusion qu’il n’est pas envisageable pour notre entreprise de ne rien faire contre ce jugement du 3 décembre 2019. Nous regrettons cette nouvelle procédure, mais la motivation du jugement nous impose de prendre nos responsabilités, et de pérenniser le futur du réseau ainsi que des voyageurs.